Daniel Henry, découpe du velours
Daniel Henry, découpe du velours© Victor Pattyn

"Je puise mon inspiration dans le processus créatif, je suis avant tout un artisan."

Interview avec Daniel Henry

26 avril 2024

La salle des mariages se pare d’une nouvelle oeuvre textile. Après plus de 120 ans, pour des raisons de conservation, la broderie originale ne pouvait plus être exposée. À l’issue d’un appel à projet organisé par le Musée de la Ville de Bruxelles et MAD Brussels, le centre de la mode et du design, le créateur textile Daniel Henry est choisi par le jury. Tout en s’intégrant au décor d’origine, l’oeuvre évoque l’amour comme une succession de moments magnétiques.

On vous invite au cœur de cette conversation que nous avons entretenue avec Daniel Henry.

Daniel Henry, impression du velours en sérigraphie

Quel est le parcours que vous avez suivi dans votre carrière jusqu'à présent?

"Mon parcours a débuté dans le monde du patinage artistique, un domaine qui représente également une forme d'art à mes yeux. Les costumes que nous portions ont rapidement éveillé ma passion pour la conception de costumes et les textiles. En tant que patineur artistique, cet intérêt pour les éclats, les paillettes et autres éléments visuels m'a naturellement poussé vers la broderie et la création de mes propres costumes. À l'âge de vingt ans, j'ai décidé de concentrer mon attention sur ma future carrière et j’ai entrepris des études de Mode à La Cambre. Au fil de mes études, j’ai vite réalisé que la conception de vêtements en trois dimensions ne correspondait pas pleinement à ma passion. C'est à ce moment-là que j'ai découvert mon véritable intérêt pour la création de surfaces textiles. Durant ma deuxième année à La Cambre, j'ai donc choisi de me spécialiser dans ce domaine, alors appelé création textile. Ensuite, je me suis spécialisé dans l'impression et la finition textile, une expertise que je poursuis jusqu'à ce jour."

"Mon programme de maîtrise était divisé en deux parties. Au cours de la première année, un membre externe du jury de Paris a montré un vif intérêt pour mon travail et m'a proposé un emploi. Cela a marqué mes premiers pas dans le monde professionnel, à temps partiel, alors même que je poursuivais mes études pour achever la seconde partie de ma maîtrise. Cette opportunité m’a permis de faire une transition fluide vers la vie active. A l’obtention de mon diplôme, j’avais déjà accumulé une année d’expérience professionnelle. C'est ainsi que j'ai commencé ma carrière en tant que freelance, à la recherche de mon propre espace de travail car je faisais aussi de la production. Pendant les 7 à 8 premières années, j'ai travaillé seul, mais actuellement je travaille avec un assistant, un format que j'apprécie : celui d’une petite équipe. J’aspire à ce que mon studio reste à petite échelle, afin de garantir un niveau de précision extrême dans notre travail. Lorsque la charge de travail devient trop importante, j’engage temporairement des freelances supplémentaires. Ma clientèle est diversifiée, principalement dans l'industrie de la mode, mais je travaille également avec des client·e·s intéressé·e·s par le papier peint, le textile d'intérieur et la conception de costumes. De plus, au cours des dix dernières années, j'ai commencé à développer ma propre œuvre d'art personnelle, sur laquelle je me concentre encore aujourd'hui."

Daniel Henry, craquelage du velours, patine

Quelle est votre approche dans la création textile? 

"Je puise mon inspiration dans le processus actif ; je suis avant tout un artisan. Je ne suis pas du genre à planifier ce que je vais créer à l’avance dès mon entrée en studio. Dès que j’y pénètre, mes mains se mettent au travail instinctivement. Je manipule les tissus, j'explore différentes textures et couleurs, observant attentivement ce qui prend forme. Pour moi, il s’agit là d’un processus de découverte et d'expérimentation continu. Je suis constamment engagé dans la recherche et l'exploration."

Daniel Henry, velours or craquelé

Dans quelle mesure la collaboration revêt-elle une importance cruciale pour vous en tant qu'artiste et designer?

"Beaucoup de gens me posent souvent la question : 'Si vous pouviez vivre uniquement de votre art, le feriez-vous ?' Pour ma part, j'ai au total trois client·e·s avec qui j'adore travailler. Ces client·e·s sont aussi important·e·s pour moi que je le suis pour elleux. Nous avons consolidé des relations solides et partageons une vision commune, travaillant de concert pour créer quelque chose de captivant. Parmi elleux, Maison Margiela dirigée par John Galliano, qui me met toujours au défi de repousser mes limites avec de nouvelles techniques, contribuant ainsi à faire progresser mon propre travail. Ce genre de défi est d'une valeur inestimable pour moi ; avoir un·e client·e qui m’incite à développer continuellement mon expertise. J'attache énormément d'importance à ce type de relations client·e·s."

Daniel Henry, recherche de couleur

Qu'est-ce qui vous a motivé à participer au projet conjoint du Musée de la Ville de Bruxelles et de MAD Brussels, visant à concevoir une nouvelle œuvre d'art pour la salle des mariages de l'Hôtel de Ville de Bruxelles?

"En réalité, je ne suis pas très friand des appels ouverts, je préfère être directement choisi par les personnes concernées (rires). Mais ce n'était certainement pas la première fois que je répondais à un appel ouvert. Plus jeune, je le faisais même souvent ! J'ai beaucoup collaboré avec Denise Biernaux, la propriétaire de la galerie Les Drapiers à Liège. Denise faisait partie du jury de cet appel et m'en a parlé. Après l’avoir examiné, j'ai décidé de postuler. Ce qui m'a intéressé ici, c'est la relation avec le patrimoine. Je trouve que toutes mes œuvres d'art sont liées à l'histoire de l'art. L’idée de créer un dialogue entre les œuvres d'art existantes et mon propre travail m'a vraiment motivé."

Daniel Henry, recherche de couleur

Pouvez-vous nous en dire plus sur l’inspiration qui a guidé le design de cette tapisserie?

"Étant donné que le travail devait être conçu pour la salle des mariages, il m’est apparu évident que l'amour constituerait un thème central. Cela contraste avec mes thèmes habituels, où la mort est souvent au premier plan. Cependant, je trouvais intéressant d’explorer cette thématique à travers le prisme de l'invisibilité. Lorsque deux personnes tombent amoureuses, quelque chose de difficile à décrire se produit. Il y a une attraction magnétique qui n'est pas visible à l’œil nu. C'est pourquoi j'ai choisi de travailler autour du champ magnétique. Un couple forme une unité indissociable, comme deux pôles indissociables. Ces pôles magnétiques émettent une force, semblable à un feu d'artifice entre deux personnes attirées l'une par l'autre."

"De plus, je voulais aussi explorer le concept de dualité. Un couple est composé de deux individus qui doivent préserver leur propre identité. Bien que certains aspects puissent fusionner, il est essentiel de conserver sa propre individualité. C'est pourquoi j'ai opté pour deux couleurs distinctes, l'or et l'argent, ainsi que différentes techniques telles que la broderie et l'impression pour le rideau. Cela renforce le thème en mettant en évidence les contrastes."

"Un autre facteur important résidait dans l’espace qui allait accueuillir mon projet. Il était essentiel de comprendre cet espace et d'intégrer le projet dans cet environnement. Trouver le bon équilibre était primordial. Mon travail devait s’harmoniser avec la salle du 19e siècle, tout en étant suffisamment contemporain pour reflérer le 21e siècle, le tout sans heurter l’œil dès l’entrée. Je voulais aussi que mon travail vive et joue avec la lumière, pour qu'il puisse offrir une expérience visuelle différente à chaque fois."

Daniel Henry, application, broderie main

Aux côtés de la dualité, vous avez mis l’accent sur le thème de l'inclusivité. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

"L'année dernière, nous avons célébré le 20e anniversaire du mariage entre les personnes du même sexe en Belgique, mais la précédente tapisserie murale n'était pas adaptée à cette occasion. Elle représentait trois bébés anges, ce qui symbolise traditionnellement le début d'une famille après le mariage, mais ce n'est pas l'histoire de tout le monde de nos jours. Le thème de l'inclusivité m'a conduit à l'idée de 'patchwork', car cela consiste à rassembler toutes sortes de restes ou de tissus aléatoires. La broderie supérieure sur l'œuvre d'art est composée de 400 bandes dorées, provenant de 40 tissus d'occasions différentes. Ces tissus varient beaucoup, du neuf à l'ancien, provenant de l'industrie de la mode ou de l'intérieur, et de différents pays. De cette manière, je voulais souligner l'idée d'inclusivité avec une diversité de textiles. Chaque petite partie signifie peu en soi, mais ensemble, elles forment un ensemble puissant."